Au chapitre des desserts, existent les entremets. Mais il ne viendrait aujourd’hui à personne l’idée d’annoncer un « entremets » pour le dîner ou d’en commander un chez le pâtissier. Pourtant, tel Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, cela arrive plus souvent qu’on ne le croit… Mais d’abord, de quoi parlons-nous ? Certes d’un dessert, mais pas d’une pâtisserie. La nuance s’établit dans l’absence de fond de pâte et la présence de ce que les professionnels appellent un appareil, à base d’œufs, de lait, de crème ou de fruits. Là où la pâtisserie joue sur le croquant, l’entremets évoque le moelleux et l’idée d’un dessert gourmand qui plaît à tout le monde. Et de convoquer les souvenirs de grand-mère et de son riz au lait, de tante Marie et de son inimitable charlotte poire-chocolat…

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Un effort de mémoire nous amène plus loin, au début du XXe siècle, à l’époque où l’on ne sortait pas de table sans dessert, sauf si on était puni. Un dîner digne de ce nom ne se serait pas achevé sans un entremets dont le seul nom évoque une sophistication d’un autre temps : diplomate, abricots à la Condé, bombe glacée, marquise au chocolat, parfait au café... Avant bien sûr les petits-fours, le café et ses liqueurs…

Le bavarois

Son nom viendrait de la cour de Bavière, qui employait des chefs français. Carême l’appelait « fromage bavarois », car Procope, le premier café-glacier de Paris, appelait fromage toute préparation à base de lait, de crème et de sucre, moulée, glacée ou gélifiée. Il désigne à présent un gâteau à base de mousse de fruits ou de « crème à bavaroise », constituée de crème anglaise, chantilly et gélatine.

La charlotte

Inspirée d’un dessert anglais, le triffle, elle devrait son nom à la reine d’Angleterre Sophie-Charlotte, épouse de George III. Ou du bonnet froncé que portaient les femmes à la fin du XVIIIe siècle. C’est Carême qui la popularise en France et améliore le concept en tapissant un moule rond de brioche ou de biscuits « à la cuillère », ensuite rempli de compote de pommes, passé au four, puis démoulé et nappé d’une crème anglaise. Il invente aussi la version actuelle de la charlotte, baptisée « à la parisienne », puis « à la russe », garnie d’une bavaroise et de fruits frais.

Le flan

Le mot désigne à la base une préparation ronde et plate. La recette, qui vient du Moyen-Âge, n’a pas varié : on dispose sur un fond, une crème prise à base de lait et d’œufs. Le flan pâtissier, avec son fond de pâte brisée et sa crème noircie en surface, est un classique. Il existe de nombreuses variantes régionales de flan, comme le far breton ou la tarte au papin dans les Flandres.

Le blanc-manger

II doit son nom à sa parfaite blancheur. Consommé depuis le Moyen-Âge, il s’agit à la base d’une préparation veloutée salée, le plus souvent un bouillon de viande, épaissie à la poudre d’amande. Au XVIIIe siècle, il devient sucré et on lui ajoute de la gélatine. Carême le décline en toutes sortes de parfums. On peut considérer que sa version contemporaine est la panna cotta, même si les amandes ont disparu de la recette.

Le riz au lait

La chronique du frère Salimbene rapporte que Louis IX, en route pour la croisade, déjeuna en 1248 à Sens d’un riz au lait… La recette s’est enrichie en sucre et en vanille, inconnue à l’époque. Le riz au lait sert de base à deux entremets très prisés au XIXe siècle, le riz Condé (on rajoute en fin de cuisson un mélange sucre-œufs) et le riz à l’impératrice, sorte de gâteau de riz parfumé au kirsch et aux fruits confits.

Le mont-blanc

La recette du mont-blanc semble être apparue au XIXe siècle et son nom vient probablement de sa forme de dôme. Il s’agit classiquement d’une meringue garnie de chantilly et recouverte d’une crème de marron, passée au tamis pour former des vermicelles. Le tout est saupoudré de sucre glace. Celui du salon de thé parisien Angelina, créé il y a plus d’un siècle par l’Autrichien Antoine Rumpelmayer, est un best-seller : plus de 400 par jour !

Le pudding

Dans les vieux livres de cuisine, on l’appelle pouding, manière de franciser un nom qui vient sans doute… du français, puisqu’on lui prête la même étymologie que le mot « boudin ». Il fait référence à un mode de cuisson ancestral qui consiste à cuire une farce dans des viscères. Les Celtes l’apprennent aux Anglais (pensez au haggis), qui finissent par cuire leur pudding dans un sac, puis dans un moule au bain-marie. La base en est la mie de pain. La version française, sans cuisson et avec des biscuits cuillère, est le diplomate (à base de fruits confits et confiture), la version italienne, le tiramisu.

Du salé au sucré

Rappelons qu’entremets signifie littéralement « entre les mets » et remontons encore un peu plus dans l’histoire de la gastronomie. Au Moyen-Âge, les banquets sont des événements sociaux qui durent des heures. On y sert quantité de plats, qui arrivent par service. Pour occuper les convives dans l’intervalle, on leur propose donc des entremets. Des préparations salées, plutôt légères au regard des pièces maîtresse que sont les viandes rôties. L’intermède s’accompagne souvent de musique ou de spectacles, et pour ne pas être en reste, les cuisiniers montrent aussi leurs talents avec des préparations élaborées, comme les gelées et les galantines, mais surtout visuellement exceptionnelles. Lors du banquet du Faisan, qui réunit en 1454 à Lille les chevaliers de l’Ordre de la Toison d’or autour de Guillaume le Téméraire, on sert ainsi de véritables pièces montées où les aliments se mêlent au vermeil ou au bois, recréant une ville, un château, un personnage. On y sert aussi le fameux faisan, paré de ses plumes et de pierreries…

À la Renaissance, Catherine de Médicis fait venir à la cour les confiseurs italiens et l’usage du sucre se répand. À partir du XVIIe siècle, l’entremets désigne tout ce qui est servi « sur la table après le rôti et avant le fruit », comme l’atteste en 1694 la première édition du Dictionnaire de l’Académie française. Le dessert (le mot vient aussi d’entrer dans le dictionnaire) arrive quand on « dessert » la table. On y trouve notamment du riz au lait, des flans, des beignets et des compotes. Il faut attendre Antonin Carême pour qu’apparaissent les « entremets froids », c’est-à-dire sans cuisson.

Poudre et conserve

Jusqu’au début du XXe siècle, tout bon livre de cuisine propose encore trois sections aux chapitres des entremets : les chauds (c’est-à-dire cuits, comme les omelettes sucrées, les soufflés, les puddings), les froids (crèmes, bavarois, gelées) et les glacés (parfaits, bombes glacées…). Avec les ingrédients de base de la cuisine familiale (le lait, le sucre, les œufs), toute bonne ménagère peut réaliser des entremets haut la main. L’essor de l’agro-alimentaire va bousculer cette félicité culinaire. Dès 1837, un chimiste anglais, Alfred Bird, invente la première poudre à flan, pour recréer la fameuse custard sans œuf car son épouse y est allergique. Dès lors, le pli est pris. Francorusse, puis Ancel lance des desserts aromatisés prêts en deux coups de cuillère à pot : il suffit d’y ajouter du lait pour obtenir un entremets gélifié. En 1952, la marque Mont-Blanc lance la crème dessert prête à consommer, et en 1970, Danone sort la fameuse Danette. Au supermarché, l’entremets s’achète désormais en conserve ou en pack de douze… Heureusement, rien ne se perd. On se pâme encore pour un vrai riz au lait « à l’ancienne ». Et tout se recrée. À l’instar de la mode, l’entremets reste un vrai basique que l’on adore customiser.

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(Article publié dans le magazine Saveurs n° 188, 20182)

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