Le haricot en grain n’a pas toujours eu bonne presse ! Long à cuire, trop riche, il serait également source d’inconfort digestif. Pourtant cette fabacée joue un rôle considérable dans l’alimentation humaine depuis… la préhistoire. Preuve que ses avantages surpassent de loin ses légers désagréments. Cultivé il y a quelque 7 000 ans par des tribus indiennes au Mexique et au Pérou, le haricot d’Amérique, dont le nom proviendrait de l’aztèque ayacolt, est arrivé en Europe au XVIe siècle avec les grands explorateurs. Ce Phaseolus y a progressivement supplanté la Vigna, une sous-espèce d’origine africaine, qui comprend le dolique (ou niebé), arrivé, lui, avec les invasions mauresques. Au Moyen Âge, il est l’une des légumineuses qui constituent, avec les céréales, le socle de l’alimentation des Européens. Depuis lors, il s’illustre dans certains plats roboratifs et rustiques emblématiques de nos régions.

Publicité

Drôles de cocos et précieux lingots

Ces grains ronds, ovales, plats, réniformes, blancs, verts ou rouges se déclinent sous nos horizons en une multitude de variétés, se distinguant par leur goût, leur texture et leur tenue à la cuisson. La plupart sont d’ailleurs protégées.

  • Le coco de Paimpol, à la peau laiteuse parfois striée de mauve, qui pousse dans la partie la plus septentrionale de Bretagne. Commercialisé uniquement frais en gousse, il a reçu en 1998 la première Appellation d’origine contrôlée (AOC) décernée à un légume. Chaque année, de juillet à octobre, quelque 2 000 cueilleurs investissent les champs pour « plumer » le coco, en séparant les gousses de la tige et des feuilles, une opération encore intégralement réalisée à la main.
  • En Gascogne, le haricot tarbais, en forme de rein, bénéficie à la fois d’une Indication géographique protégée (IGP) et d’un Label rouge. La culture de cette espèce grimpante, relancée dans les années 1980, est associée à celle du maïs, qui lui sert de tuteur naturel et de voile d’ombrage. C’est le cas aussi pour son cousin et principal concurrent, le haricot-maïs du Béarn. Si, pour se différencier, l’un s’est spécialisé dans le sec et l’autre dans le demi-sec, tous deux sont utilisés dans la préparation de la garbure, assortiment de légumes et viandes cuits longuement dans un bouillon. Cette recette traditionnelle du Sud-Ouest, servie en potage ou en plat de résistance, agrémentée selon les saisons, les secteurs et les ressources, de canard ou de porc, est longtemps restée l’aliment quotidien des paysans et des ouvriers.
  • Les lingots, généralement gros, allongés et très blancs, sont parmi les plus cultivés en France. Celui de Castelnaudary, introduit dans le Lauragais par Catherine de Médicis, est indissociable du cassoulet. Sa peau fine lui a d’ailleurs valu de remplacer la fève, qui en a longtemps été l’ingrédient essentiel.
  • La mojette a, elle, plusieurs orthographes (également « mohjette » ou « mogette »), selon sa provenance. Elle s’est acclimatée aussi bien aux terres de marais vendéennes qu’aux sols riches en alluvions de la vallée de l’Arnoult, ancien bras de mer de Charente. Ce « rognon de Pont-l’Abbé », comme on la surnomme ici, se savoure mitonné en ragoût avec des carottes et des tomates.
  • Le lingot du Nord, grain droit à bout aplati et au léger goût de châtaigne, est cultivé dans la vallée de la Lys, dans les Hauts-de-France. Il y est toujours mis à sécher à l’air libre sur des perroquets : ces bâtons en bois reliés entre eux de manière pyramidale constellent les champs à la fin de l’été.
  • Le flageolet vert chevrier, accompagnement par excellence du gigot ou du navarin d’agneau dominical, est, lui, originaire de l’Essonne. L’horticulteur Gabriel Chevrier y a mis au point, à la fin du XIXe siècle, une méthode pour récolter et faire sécher ces grains avant complète maturité. La ville d’Arpajon lui dédie d’ailleurs une foire depuis 1922.
  • Dans l’Aisne, le haricot de Soissons a failli disparaître dans les années 1990. En se regroupant sous forme de coopérative, les producteurs de ce territoire se sont mobilisés pour assurer sa survie.
  • Quant au haricot rouge, s’il est très répandu dans les Caraïbes et en Amérique latine, on trouve aussi en France la grosse variété dite « rognon de coq ». Préparée à la vigneronne avec du vin rouge et du lard, elle offre une alternative régionale au chili con carne.
Liste des haricots en grains
Photo : Isabelle Kanako

Rustique et chic

Comme pour toutes les légumineuses, la consommation du haricot en grain a fortement diminué tout au long du XXe siècle. Mais la prise de conscience de ses nombreuses vertus semble annoncer son retour en grâce. Il s’agit en effet d’un super-aliment. Dépourvu de cholestérol et de gluten, avec un faible indice glycémique et une haute teneur en fer et en zinc, il se révèle en outre généreux en nutriments, protéines et fibres. Pas étonnant qu’il se soit fait une place de choix dans l’alimentation végétarienne : associé à des céréales, il couvre tous nos besoins en acides aminés. On le retrouve donc en salade, sous forme de houmous, de pâte à tartiner et même dans les desserts. Certains chefs s’attachent à lui enlever cette image de plat du pauvre qui lui colle à la peau. Comme le triplement étoilé Mauro Colagreco, qui n’a pas hésité à le sublimer avec un glaçage à la truffe blanche.

Quant à ce petit problème d’embarras intestinal qu’il peut occasionner, il peut être aisément supprimé par un trempage d’au moins 12 heures et par quelques astuces. Selon Anne Lataillade, blogueuse culinaire réputée, il suffit d’ajouter à la cuisson un tronçon d’algue kombu rincé, des aromates reconnus pour leurs propriétés digestives (aneth, coriandre, cumin, estragon, fenouil, gingembre, marjolaine, noix de muscade, sarriette, sauge, thym), ou encore une pincée de bicarbonate de soude alimentaire. Ce serait en effet dommage de se priver de ce haricot magique.

Tour du monde

Haricots mungo, de Lima, pinto, azuki, dolique à œil noir, niébé… qu’ils soient blancs, rouges, roses, tachetés ou noirs, ils sont présents sur toutes les tables du globe. Et pour cause, « on en dénombre de nos jours environ 14000 de par le monde », signale Marie-France Bertaud dans son Petit traité du haricot. Et ce dans une multitude de préparations : feijoada au Brésil, pinto gallo au Costa Rica, kuru fasulye en Turquie, dont c’est le plat national, accras vendus dans les rues du Sénégal, minestrone napolitain, baked beans au petit déjeuner des Anglo-Saxons et jusque dans les pâtisseries japonaises.

Les faire tremper ou pas ?

Les haricots en grains frais, également appelés « demi-secs » ou « à écosser », sont cueillis avant maturité, généralement à la fin de l’été: les grains alors plus tendres ne nécessitent pas de trempage, et le temps de cuisson est plus court (45 min contre 1 h 20 à 2 h pour les secs). La phase de trempage dans de l’eau est en revanche indispensable pour les secs. On conseille de les rincer pour éliminer les sucres dits « fermentescibles », responsables de désagréments. Veillez également à ne les saler qu’en fin de cuisson pour éviter que la peau ne durcisse.

Publicité

(Article publié dans le magazine Saveurs n° 278, 2021)

Publicité
Publicité
Publicité