Poire : de l'été à l'hiver, la saisonnalité précise de ce fruit raffiné
Ce fruit très ancien, à la modestie confondante, ne la ramène pas. C’est pourtant un fleuron de notre patrimoine horticole.
Sur l’étal du maraîcher, elle tient son rang à côté de la pomme. On s’est habitué à ce qu’elle fasse partie de la corbeille de fruits, quitte à oublier sa saisonnalité. Et surtout son incroyable variété. Il faut, comme souvent, prêter attention aux expressions populaires pour se rappeler que la poire a longtemps été un fruit d’exception. On la « coupe en deux » pour décider d’un compromis, on la « garde pour la soif » quand il s’agit d’économiser. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’elle va perdre de sa superbe. La « bonne poire » devient objet de caricature et de moquerie quand on lui prête les traits du roi Louis-Philippe. On se la fend allégrement et on oublie qu’on la dégustait avant le fromage.
La poire, telle que nous la connaissons aujourd’hui est issue d’une longue évolution et de sélections horticoles. Toutes les variétés actuelles proviennent du poirier sauvage Pyrus communis, originaire d’Asie Mineure. Comme la pomme, c’est un faux fruit à pépins, nommé « piridion » par les botanistes (le vrai fruit est en fait le trognon). On trouve sa trace il y a plus de 6000 ans, mais les poires sont alors des petits fruits durs comme la pierre. Ce sont les Romains qui vont commencer à s’y intéresser, à les sélectionner et à diffuser leurs cultures. Pline en recense une quarantaine de variétés. Elles sont consommées crues, sèches ou cuites, fermentées dans une boisson proche du poiré. Au Moyen Âge, les poires sont encore assez coriaces, comme le suggère le nom d’une variété de l’époque, la « caillou rosat ». Les meilleures se voient attribuer des noms flatteurs tels que « bon-chrétien ».
La poire, aristocrate et voluptueuse
La Renaissance marque le développement de l’amélioration de la poire, mais c’est surtout La Quintinie, le jardinier de Versailles, qui va se passionner pour ce fruit. Objet de toutes les attentions, la poire s’impose comme le fruit de l’aristocratie. Sa chair devient fondante comme du beurre, sa peau rugueuse s’affine, et sa saveur âpre se fait sucrée et parfumée. C’est l’avènement de la poire dite « à couteau ». Alors qu’on ne la consommait jusqu’ici que cuite, elle prend sa place sur les plus belles tables, dégustée crue en fin de repas. Louis XIV en raffole, et les souverains rivalisent pour enrichir leurs collections. Côme III de Médicis en aurait ainsi fait servir 232 variétés lors d’un dîner ! Peu de fruits vont ainsi atteindre les sommets de l’arboriculture et une telle ascension sociale. Les poires conserveront leur aura jusqu’au XIXe siècle, et l’on peut imaginer les promesses de volupté que suggéraient leurs noms évocateurs comme la « cuisse-madame », la « trésor d’amour » ou la « bellissime de jardin ».
De ces quelque 2 000 variétés, il n’en subsiste plus qu’une dizaine sur nos étals. Il faut ainsi se tourner vers des conservatoires ou des collections d’horticulteurs passionnés pour retrouver la richesse des variétés anciennes.
Quelle est la saison des poires ?
- On distingue les poires d’été, cueillies en juillet-août. Elles ne se conservent généralement guère plus d’un mois, sinon elles deviennent blettes.
- Les poires d’automne, récoltées fin août et en septembre, se conservent jusqu’en novembre.
- À partir d’octobre et jusqu’en décembre, on récolte les poires d’hiver, qui se gardent plusieurs mois, jusqu’en mars-avril.
- Si vous trouvez sur les étals des poires à la fin du printemps, elles sont donc sûrement importées d’Amérique du Sud.
La récolte se fait à la main, un peu avant la pleine maturité pour ne pas qu’elles s’abîment. On les cueille encore un peu vertes car elles sont climactériques : c’est-à-dire qu’elles continuent à mûrir après récolte. Bonnes poires donc, mais jusqu’à un certain point : les poires font partie des fruits qui reçoivent le plus de pesticides... Autrefois, les moyens de conservation étant inexistants, on sélectionnait les variétés entre autres pour leur faculté de garde sur l’arbre, même si elles n’étaient pas toutes jolies et savoureuses. Aujourd’hui, on offre au consommateur un fruit à l’esthétique parfaite et qui se conserve bien… dans sa corbeille. Et si on coupait la poire en deux ?
Ce qui me plaît notamment dans la poire, c’est le nombre de variétés. Elle fonctionne très bien en accord car elle s’imprègne particulièrement des autres saveurs, tout en gardant sa personnalité. Elle offre surtout un grand panel de goûts et de textures avec lesquels j’aime jouer. Quand elles sont petites, fermes et vertes, je les rôtis ou les snacke. Quand elles sont très fondantes, je les laisse s’oxyder pour en faire des sauces ou des pâtes de poires.
Le saviez-vous ?
Le nashi, un cousin venu d'Asie : appelé aussi « pomme-poire », le nashi a la chair croquante et juteuse et la peau grainée, mais la forme d’une pomme. Ce n’est pourtant pas un croisement, mais une variété de poire originaire d’Asie. Il est cultivé au Japon (nashi est un mot japonais), en Corée et en Chine.
Et la poire de terre ? Elle n’a de poire que la forme. Ce tubercule de la famille des Astéracées (chicorée, pissenlit, laitue…), originaire d’Amérique du Sud et aussi appelé yacón, a une chair ferme et aqueuse. Il n’a pas rencontré chez nous le même succès que la pomme de terre !
Poire tapée : une méthode de conservation. C’est une spécialité de Touraine, en particulier de Rivarennes, en Indreet-Loire. Il s’agit à l’origine d’une méthode de conservation des fruits qui date du Moyen Âge. Les poires, après avoir été épluchées, sont passées au four sur des claies pendant deux ou trois jours pour les dessécher. À la sortie du four, elles sont non pas tapées, mais aplaties à l’aide d’un instrument (un « platissoire ») ou du plat de la main. Leur fabrication avait disparu dans les années 1930. Quelques producteurs ont depuis repris le flambeau. Les poires tapées sont consommées comme des fruits secs, en marmelade, en terrines ou réhydratées dans de l’eau et du vin.
Poiré, l'autre spécialité de Normandie : moins connu que le cidre, le poiré est issu du même savoir-faire et de la même recette, mais avec des variétés de poires spécifiques. Reconnu en appellation d’origine protégée (AOP), le poiré domfront utilise ainsi une variété ancienne, la « plant de blanc ». Avec sa belle robe jaune pâle et son goût légèrement fruité, il est parfait à l’apéritif, en accord sur une volaille ou un fromage type camembert, ou encore avec la cuisine asiatique. Et bien évidemment en dessert.