
Crème fraîche : comment est fabriqué ce laitage moins gras que le beurre et l'huile ?
Ce ne serait qu’un péché de gourmandise si on pouvait s’en passer. Indissociable de notre cuisine régionale, la crème fraîche est simple comme les bonnes choses. Quoique…
- Une crème… Selon la réglementation en vigueur, la crème provient exclusivement du lait et doit contenir au moins 30 % de matière grasse. En deçà et jusqu’à 12 %, elle doit porter la mention « crème légère ».
- …fraîche. La crème dite fraîche a été chauffée entre 70 et 80°C pendant une trentaine de secondes afin d’éliminer tout germe pathogène (pasteurisation). Mais elle conserve certaines bactéries. Contrairement à une crème UHT, dont la très haute température détruit tous les microorganismes.
- Sous quelle forme ? Épaisse en pot plastique de 20 cl et 50 cl, ou, pour la crème fraîche AOP d’Isigny, en pot de verre de 20 ou 40 cl. Liquide (fleurette) en bidon plastique de 50 cl.
- Comment la conserver ? 30 jours au frais pour la crème fraîche épaisse, 15 jours pour la crème fleurette. Après ouverture du pot, elle doit être consommée sous quelques jours. Utilisez toujours un couvert propre et remettez le pot immédiatement au réfrigérateur. Ne la congelez pas : elle deviendrait granuleuse.
- Côté diététique ? Avec 30 % de matière grasse et environ 300 kcal au 100 g, elle est la moins calorique de tous les corps gras : trois fois moins que l’huile d’olive. Elle apporte des vitamines A et D, contient peu de cholestérol (100 mg/100 g), mais les mêmes acides gras saturés que le beurre.
- Comment l'utiliser ? Pilier de la cuisine normande, elle lie à merveille la sauce d’un poulet. Elle est aussi indispensable à la quiche lorraine ou au gratin dauphinois, parfaite avec les pâtes, les champignons, les poireaux. Au dessert, on l’aime sur des fruits rouges ou en crème fouettée.
Elle fait l’unanimité : 91,8 % des ménages français achètent de la crème et 84 % l’utilisent au moins une fois tous les 15 jours. Au 15e rang pour sa consommation, loin derrière les Scandinaves et les Allemands, la France est au 4e rang pour sa production. Avec une spécialité que nos voisins nous envient : la crème fraîche. On connaît la crème sans doute depuis l’invention de l’élevage, il y a quelque dix mille ans. Elle se forme naturellement à la surface d’un lait cru qu’on laisse reposer ; plus légers que l’eau, les globules de matière grasse ont tendance à remonter en couche. Si les Celtes et les Vikings appréciaient déjà la crème, elle n’apparaît qu’au Moyen-Âge sur la table française, car on sait mal la conserver. Dès le XVIIe siècle, on découvre son grand intérêt en cuisine. La Varenne l’utilise pour faire des liaisons à la place de la farine, tandis que Vatel invente la chantilly. Un siècle plus tard, Procope en fait de la glace et dans les années 1800, Carême l’incorpore à son bavarois… L’invention, en 1878, de l’écrémeuse-centrifugeuse a facilité le processus naturel. Elle permet d’obtenir une crème fluide et douce, qu’on appelle fleurette (lire encadré ci-dessous). Barattée, cette crème se transforme en beurre. Si on la laisse à température ambiante, elle se met à fermenter grâce aux bactéries qu’elle contient naturellement et développe un acide lactique qui l’épaissit, modifie sa saveur, et la préserve. C’est cette crème dite crue qu’on trouve encore à la ferme.
La crème fraîche est pleine de bonnes bactéries
Paradoxalement, c’est une invention française, la pasteurisation, qui aurait pu condamner ce petit miracle de la nature peu conforme aux normes sanitaires. En supprimant les bactéries nocives, elle altère aussi le processus de fermentation naturelle. Heureusement, l’industrie agroalimentaire a trouvé la solution. Après pasteurisation, on rajoute des ferments lactiques, pour faire épaissir la crème et lui donner ce petit goût si délicieusement acide : c’est la maturation ou ensemencement. On bloque l’action des ferments en la stockant au frais. Mais elle reste un produit vivant, d’où son nom de crème fraîche. Et donc une espèce à protéger à l’heure du tout aseptisé et de l’UHT. C’est chose faite pour la crème fraîche d’Isigny qui bénéficie d’une AOP (Appellation d’origine protégée). Produite depuis plus d’un siècle dans cette commune maritime normande, elle se caractérise par une grande finesse. Son AOP impose qu’elle contienne au moins 35 % de matière grasse (contre 30 pour une crème fraîche classique). En réalité, elle en affiche 40 %. Riche et dense, elle est très appréciée en cuisine pour sa belle tenue. La crème de la crème, en quelque sorte…
Ne vous laissez pas conter... fleurette !
Si les termes crème et fraîche sont réglementés, celui de « fleurette » ne l’est pas. En théorie, il désigne la crème liquide (non ensemencée) et fraîche (pasteurisée). En pratique, il est souvent utilisé pour désigner une crème liquide UHT. Gardez donc un œil sur les étiquettes. La vraie crème fleurette ne contient pas d’additif (épaississant ou conservateur). Elle est idéale pour être fouettée en chantilly.
(Article publié dans le magazine Saveurs n° 181, 2011)