Les Savoyards grandissent avec, au saut du biberon. Les autres y sont fatalement confrontés au saut des pistes lors d’un séjour aux sports d’hiver. Qu’est-ce au juste que les crozets ? Des pâtes ? Oui et non. Si le mode de préparation est quasi identique, ils n’ont pas droit à l’appellation « pâtes », qui désigne dans la législation un produit à base de blé dur uniquement. Or les crozets se fabriquent traditionnellement soit à base de farine de sarrasin (blé noir), soit à partir d’un mélange de farine de blé dur et de blé tendre. Mais l’on peut parler d’un « petit carré de pâte ».

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La Savoie, voisine de l’Italie, possède une longue tradition pastière. On trouve trace, dès 1730, d’un fabricant de vermicelles installé à Chambéry. Qui a eu l’idée de découper des lanières de pâte en carrés de 5 mm de côté ? Serait-ce un montagnard pragmatique, soucieux de limiter au maximum le volume de nourriture dans sa musette avant de monter dans l’alpage ? On se plaît à le croire. Crozet vient du patois croé, qui signifie « petit ». De génération en génération, le savoir-faire s’est transmis dans les foyers savoyards : l’étalement de la pâte au rouleau, la découpe au couteau puis le séchage au soleil. Confectionnés dans le seul cercle familial, les crozets furent longtemps le plat des dimanches et jours de fête.

Bonne fortune

L’année 1968 marque un tournant historique. Les Fraissard, un couple d’épiciers de Moûtiers, invitent un ami à dîner. Madame prépare des crozets, que l’on trouve succulents. L’ami en parle autour de lui, les demandes affluent de Moûtiers et jusqu’à la vallée de l’Eau Rousse et aux Allues, où se situent les stations de Valmorel et Méribel. Une fabrication à grande échelle s’impose, et pour cela, François Fraissard invente une machine à découper les crozets, à partir de pièces de récupération : une boîte de vitesses d’Aronde, des rouages provenant d’essuie-glaces, des pièces de mobylette… En 1990, faute de pouvoir satisfaire une demande croissante, les Fraissard cèdent la fabrication à la marque régionale Croix de Savoie, devenue Alpina. La société, qui détient aujourd’hui près de 79 % du marché du crozet, perpétue la fabrication traditionnelle. La pâte est étirée entre deux cylindres (laminage) avant d’être coupée en bandes puis sectionnée en carrés. Ceux-ci sont séchés à basse température (entre 50 et 60 °C) pendant 8 à 12 heures.

Les crozets se cuisent à l’eau 15 à 20 minutes. Ils se déclinent ensuite le plus souvent en gratin, enrobés de crème et agrémentés de lamelles de tomme de Savoie. La « croziflette » est une variante plus riche : sur les crozets, viennent se coucher des tranches de jambon cru, des lamelles d’oignon blondies, de la crème et des dés de reblochon. Le tout fondu et gratiné. N’oubliez pas la salade en accompagnement, pour la bonne conscience…

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(Article publié dans le magazine Saveurs n° 271, 2020)

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