Kristian Poppe et Matias Ferreyra : amitié culinaire

L’amitié du Belge Kristian Poppe et de l’Italo-Argentin Matias Ferreyra s’est nouée à Buenos Aires. Les deux jeunes gens s’y sont rencontrés dans un restaurant où chacun faisait ses premiers pas en cuisine, le premier après avoir abandonné un cursus en langues étrangères, et le second, des études de médecine. Plusieurs étés de suite, ils se sont retrouvés dans le Lot-et-Garonne, pour prêter main-forte aux parents de Kristian. D’origine flamande, ces pionniers de l’agriculture biodynamique y avaient ouvert une maison et table d’hôtes, Les Huguets, à une époque où le concept commençait tout juste à émerger. Au fil du temps, l’amitié entre les jeunes hommes s’est construite… autour de leur goût commun pour la cuisine et les bons produits locaux, que l’Argentin avait notamment découverts en arpentant les marchés du cru.

Après plusieurs saisons en cuisine et une expérience réussie de second dans un bistronomique des Corbières, Kristian a eu envie d’avoir son propre établissement. Se lancer dans cette aventure avec Matias relevait de l’évidence : « On a grandi ensemble gastronomiquement et humainement. » Il avait déjà trouvé le lieu – une ancienne bergerie, devenue un temps crêperie –, il ne lui restait plus qu’à convaincre son ami. S’installer en France impliquait, en effet, un changement de vie autrement plus radical pour Matias, déjà père de famille, et qui officiait alors comme chef à Buenos Aires, dans un restaurant spécialisé dans la cuisson au feu de bois. En mai 2019, il quitte son pays avec son épouse, Leila, et leur enfant pour emménager dans le Béarn. Trois mois plus tard, les deux trentenaires, aidés de leurs compagnes, inaugurent leur table.

Le terroir sous influence

Ils forment un duo complice, cuisinant à l’instinct et partageant une même philosophie : « chercher des produits de goût » en se fournissant en bio directement auprès des producteurs et des viticulteurs, dans un périmètre le plus restreint possible. Leur formule : un menu dégustation qui change tous les jours, avec trois entrées à partager extrêmement travaillées, un plat et un dessert. Ils ont à cœur d’associer les ingrédients du Béarn à des influences principalement sud-américaines. Ainsi le bœuf est maturé pendant trois semaines, découpé par leurs soins et cuit à la plancha à feu vif, technique que Matias maîtrise sur le bout des doigts ! Il est servi avec une purée de courge agrémentée d’une sauce chimichurri à base d’herbes du jardin. La truite issue de l’une des deux piscicultures voisines est égayée par une sauce mexicaine, graines toastées et épices, une salade de radis verts, des navets et rutabagas caramélisés. Les deux amis choisissent des porcs fermiers élevés 24 mois ou des poulets gambadant à l’air libre. Quant aux légumes de leurs maraîchers, ils sont les vedettes de leurs entrées. Il va sans dire que tout est fait maison, du pain au levain aux glaces, en incluant les feuilletés, l’ail noir ou des boissons comme le kombucha ou le kéfir. Poissons et viandes sont fumés par leurs soins.

L’intensité du goût

Le succès est immédiat dans ce petit coin de la vallée, où la tradition reste ancrée. La salle lumineuse, aux murs en pierre et tables en bois, chauffée par un poêle n’y est pas pour rien. La terrasse face aux prairies où paissent les vaches, avec à l’horizon la falaise aux Vautours et le pic du Midi d’Ossau, termine ce tableau de charme. Les deux chefs ont progressivement renforcé leur brigade de manière à constituer deux équipes interchangeables. Un bon moyen de concilier vie de famille et vie professionnelle. Tous ont appris à être polyvalents.

Le jour de notre visite, comme d’habitude, le restaurant est rempli par une clientèle essentiellement locale. Cinq ans après l’ouverture et malgré les bouleversements engendrés par la crise sanitaire, Kristian et Matias demeurent fidèles à leurs valeurs en travaillant toujours en direct avec les producteurs, comme ce groupement d’éleveurs de blondes d’Aquitaine à Ogeu-les-Bains, à quelques kilomètres. Quoi qu’il leur en coûte, le menu continue d’être dicté par les saisons et les approvisionnements du jour. Ils revendiquent une cuisine spontanée et instinctive même si, dans les assiettes, leurs associations conjuguent couleurs et saveurs comme des tableaux, en respectant un ordre qui va crescendo : du froid au chaud, de la douceur à la puissance. Blanc, vert et noir pour la crème de chèvre, olives et salade printanière à l’huile de chou Daubenton maison, qui ouvre le ban des entrées, puis blanc, rouge et orange pour les asperges servies avec des morceaux de lomo, une sauce citron confit et humita, « une purée de maïs doux au paprika fumé originaire des tribus aborigènes du nord de l’Argentine », explique Matias. Les succulentes croquettes de boudin noir sont accompagnées d’une purée de carottes, de pesto et de navets rôtis.

Les deux amis se veulent avant tout les ambassadeurs de leurs producteurs : « Si déjà les produits ont cette force et cette saveur, pas besoin d’ajouter trop de complexité pour sublimer et transmettre le travail paysan en amont », considère Kristian, qui a longtemps hésité entre le métier de cuisinier et celui d’agriculteur. Il a trouvé là la meilleure façon d’accorder les deux.

L’Étable d’Ossau, 64260 Buzy. Menu du midi : 24 € (en semaine) et 35 € (le week-end). Menu du soir : 35 €.