On a trop vu des restaurants copiés-collés, aussi bien dans le décor, la couleur des nappes ou le choix de produits à la carte pour ne pas se réjouir lorsqu’un chef nous embarque dans un univers personnel, intime, singulier. Attention, n’allez pas imaginer un cuistot punk ou anarchiste, prompt à faire exploser les codes par principe et à mettre sens dessus dessous un métier qui exige de la rigueur. De cette dernière, Romain Le Cordroch en est même généreusement pourvu, et ce n’est pas lui qui mettra le feu à son piano comme on a vu quelques musiciens pyromanes incendier le leur. Bref. Après avoir baladé ses couteaux de jeune cuisinier à Paris et sous bien d’autres latitudes, Romain a mis le cap sur le Morbihan en 2022. Rien à voir avec un quelconque parachutage, puisque le garçon est originaire de cette Bretagne sud.

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Nous voilà donc à Vannes, face aux remparts et au petit monde de granit et d’ardoise de la vieille ville, assurément l’une des plus charmeuses d’Armorique. Le port est juste au bout de la rue. Une maison lumineuse, aérée, attentive aux arts de la table, avec des pièces uniques, plus qu’aux standards des catalogues de déco. Confort, élégance sans lourdeur, service agréable, tout va bien ! Direction la cuisine de Bvañ. Là, une drôle de chose baptisée kakugama anaori, un outil de cuisson japonais en carbone et pierre volcanique qui permet de rôtir, griller et surtout de se passer de matière grasse ! Nous y voilà. Romain Le Cordroch pousse loin le bouchon de la cuisine éthique. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour lui ça veut dire beaucoup : ni viande ni matière grasse, un travail très approfondi sur le végétal et le floral, et une politique anti-gaspi vue par d’autres comme une contrainte, mais par lui comme une chance : « L’anti-gaspi ouvre des horizons, nous oblige à inventer et à nous poser des questions comme “Que fait-on avec une pelure d’asperge ? ».

Restaurant Bvañ, à Vannes
Quand certains grands chefs se contentent d’être au passe, Romain Le Cordroch œuvre dès la mise en place et cuisine pendant le service. L’une des marques de fabrique de la démarche du chef ? Un travail très approfondi sur le végétal. Photo : Louis-Laurent Grandadam

De surprise en surprise

Loin de rester figé dans le marbre de menus répétés au quotidien comme une mécanique, Romain Le Cordroch fait sans cesse évoluer sa partition, piochant dans une bibliothèque de goûts et de saveurs extrêmement riche. Le risque serait de s’égarer dans les rayonnages de cette dernière, de perdre le fil de l’harmonie dans les assiettes. Écueil brillamment esquivé par le chef vannetais. Certes, il dézingue volontiers la sacro-sainte religion du « pas plus de trois saveurs dans les assiettes », encore répétée à l’envi par certains de ses collègues. Mais, souvent nourries de bien plus que trois ingrédients et produits, ses recettes ne manquent pas de cohérence, au contraire. Elles ont la modestie nécessaire de ne pas surjouer le spectaculaire, pour éviter de désarçonner le client, mais la délicieuse audace de l’embarquer vers des chemins inexplorés et des univers assez poétiques. Chacune raconte une histoire. Et comme un écrivain soigne son vocabulaire, le rythme de son phrasé et sa ponctuation, Romain Le Cordroch cisèle son propos, respecte les équilibres des goûts et des textures avec une précision d’orfèvre dans les dosages, les cuissons ou les découpes. Et on est cueillis par ces huîtres pochées accompagnées d’amarante en pré-entrée, cette macédoine de poulpe à la moutarde de rose, voile de civet et ketchup de fraises jocelyne du Bono, ou encore par cette barquette de rouget, dont il travaille aussi les écailles, aux petits pois et babeurre.

Romain Le Cordroch, chef du restaurant Bvañ, à Vannes
Un petit coup de sonnette… Une assiette est prête à partir en salle ! Photo : Louis-Laurent Grandadam

Des engagements au quotidien

Créatif, sans cesse en mouvement et résolument éco-engagé, le chef propose aussi désormais un menu « chanvre », cette plante aux mille vertus cultivée à la ferme de Trévero, située à Serrent, à seulement une vingtaine de kilomètres du restaurant, avec par exemple des coquilles Saint-Jacques en viennoise de chanvre et céleri perlé d’huile de chanvre ou un gâteau breton au chanvre. De quoi ravir les appétits, qu’il convient de ne pas totalement rassasier avec le formidable pain, goûteux, aéré et parfaitement « croûté », fourni par la boulangerie vannetaise La Tête de Meule. La carte des vins, elle, alterne des références classiques et des cuvées bio-nature plus militantes, dont les cuvées plein sud de Jean-Louis Tribouley, vigneron installé dans le Roussillon, et les flacons ligériens signés Noëlla Morantin ou Hervé Villemade. En langue bretonne, le mot bvañ fait référence à la nourriture et au vivant. Le restaurant de Romain Le Cordroch n’a pas volé son nom !

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Bvañ, 56000 Vannes. Fermé le mardi, le mercredi et le dimanche soir. Menus à 38 € (le midi), 65 € et 79 €. Menu « chanvre » à 45 €.

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Déjeuners champêtres

Le restaurant Bvañ se délocalise chez son petit producteur de légumes d’exception, le Jardin de Betty, le midi, du jeudi au dimanche, jusqu’à fin septembre, à Baden. À travers un menu champêtre, Romain Le Cordroch sublimera les trésors du Jardin de Betty, maraîchers depuis cinq générations, qui cultivent des variétés rares ou anciennes de légumes, plantes aromatiques et fleurs comestibles. Menu à 61 €. Le Jardin de Betty, 56870 Baden.

Restaurant Bvañ, à Vannes
Le bon goût n’est pas seulement dans les assiettes, il l’est aussi dans la mise en scène contemporaine, élégante, cossue, mais sans aucune lourdeur. Photo : Louis-Laurent Grandadam
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