Sa cuisine est généreuse, franche, déroutante aussi, parfois. Comme elle. Georgiana Viou est un personnage. Telle une diva décontractée, parée de créoles et coiffée d’un chapeau de paille, elle circule d’une table à l’autre dans le magnifique patio arboré qui fait office de salle de restaurant. La cheffe converse chaleureusement avec les clients, on l’entend rire au loin. Elle a besoin de rencontrer ses « invités du jour », comme elle s’amuse à le dire. Un pied aux fourneaux et l’autre en salle, elle navigue des coulisses à la scène à mesure que ses assiettes défilent. Elle cuisine, bien sûr, mais elle fait aussi le service. Ainsi elle explique ses plats aux clients, collecte quelques commentaires au passage et veille personnellement à ce que tout le monde passe un bon moment. On ne mange finalement pas chez Rouge, mais chez Georgiana. « Je considère la cuisine comme un échange », avoue celle qui semble construire ses menus en observant les besoins et les envies des autres. Il suffit d’ailleurs de rappeler son parcours pour comprendre que la cheffe se nourrit de ces interactions.

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Un parcours hors normes

Repérée à la maison Empereur, quincaillerie célèbre de Marseille où elle animait ponctuellement un petit stand de démonstration de cuisine, elle enchaîne les émissions de télé à l’aube de la surmédiatisation de la cuisine sur le petit écran. Elle participe à Un dîner presque parfait, puis à Masterchef, avant d’ouvrir La Table de Georgiana, un concept de cours de cuisine avec table d’hôte. Rester cachée au fond de sa cuisine n’a jamais vraiment été son truc. « Georgiana a toujours eu des restaurants ouverts, c’est une communicante. À la base, elle voulait être traductrice, rappelle Arnaud Tardin, directeur du Margaret Hôtel Chouleur et du restaurant Rouge. C’est une autodidacte. Elle n’a pas suivi le parcours classique, et ça la rend différente de la plupart des chefs qui ont une carrière habituelle », poursuit-il.

Georgiana Viou
Cheffe du restaurant Rouge depuis 2022, Georgiana Viou a très vite imprégné les lieux de sa personnalité chaleureuse et a décroché une étoile dès mars 2023. Photo : Claire Payen

En effet, la manière dont Georgiana Viou prend sa place de cheffe dans ce restaurant peut en dérouter plus d’un. Sa présence assumée en salle contraste avec les salutations timides de fin de service que les tables étoilées ont ritualisé. Elle désacralise le champagne, en le mélangeant avec un sirop de feuille de figuier et de citron rouge pour l’apéritif, n’en déplaise aux puristes. Elle réinterroge le service à la française, en supprimant le plateau de fromages traditionnel – moment devenu anecdotique car jugé « trop lourd » par une société de plus en plus attentive à son bien-être alimentaire. En guise de transition vers les desserts, elle propose plutôt une mousse légère réalisée avec un fromage local de saison, garnie d’un cœur de pesto de roquette texturé par des éclats de noisettes caramélisées. Une proposition percutante que la cheffe réinterprète au gré des saisons afin d’en faire un rendez-vous incontournable dans ses menus.

Georgiana rompt avec cette croyance qui revendique qu’une brigade doit être orchestrée comme à l’armée, dans la tyrannie absolue. Dans sa cuisine, on est concentré, mais on rigole aussi. Beaucoup. Résultat : son équipe l’adore. Ceux qui partent envoient des cartes postales, qui sont accrochées en cuisine, et ceux qui restent tissent de vrais liens d’amitié avec la cheffe. « C’est une mère pour l’équipe. Quand il y a des conflits, c’est la première à faire la médiatrice. Elle sait dire les choses concrètement et apaise les animosités. Elle est à l’écoute des besoins de chacun, elle fait le lien avec la direction, elle va au front ! Personnellement, c’est pour elle que je suis ici », confie Sacha Gomez, maître d’hôtel du restaurant.

Georgiana Viou
Très proche de son équipe, elle va à contre-courant des codes de la profession. Photo : Claire Payen

De la bienveillance et du caractère

Son tempérament lui a sans doute permis d’asseoir sa légitimité dans un milieu professionnel conservateur comme celui de la gastronomie. Celle qui affirme que la médiatisation qu’elle a connue suite aux émissions de télé n’a pas facilité sa carrière assume aussi sa fierté d’avoir obtenu une étoile au Michelin sans emprunter le chemin traditionnel. Après tout, celles et ceux qui prennent les sentiers de traverse apportent au monde une vision nouvelle, créative, fertile, qui invite à repenser des systèmes qu’il est important de questionner. Et c’est ce que Georgiana fait. « Un jour, un client est venu manger et nous a annoncé un tas de restrictions alimentaires au moment de la prise de commande. En quelques minutes à peine, la cheffe lui a servi un plat qui nous a tous laissés sans voix, à l’unanimité. Ça a été une vraie fulgurance. Cette femme surmonte tout avec aplomb et y met toute son énergie. J’admire sa force créative », conclut Arnaud Tardin.

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Restaurant Rouge, 30000 Nîmes. Ouvert le soir du mardi au jeudi, et le midi et le soir le vendredi et le samedi. Menus de 90 € à 140 €.

Huîtres pochées, restaurant Le Rouge, à Nîmes
Sa double culture, son parcours atypique et sa créativité permettent à la cheffe de sans cesse se réinventer, comme avec ces huîtres pochées. Photo : Claire Payen
Le Rouge, à Nîmes
Le bâtiment qui abrite le restaurant est un ancien hôtel particulier classé monument historique : un cadre exceptionnel pour une cuisine qui l’est tout autant. Aux beaux jours, des tables sont également dressées dans le patio pour une ambiance des plus agréables. Photo : Claire Payen
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