Jacky Ribault : un chef à l'appétit d'ogre
À 53 ans, ce chef au franc-parler appréciable multiplie les projets et vit tout feu tout flamme. Rencontre, à Vincennes, d’un boulimique de la vie.
L’ours, ça pourrait être lui. Barbe de trois semaines, cheveux attachés, large carrure, ventre arrondi… Un instant, on l’imagine en train de se gratter le dos contre un mélèze des montagnes Rocheuses. Oui, mais… on est à Vincennes, commune de l’Est parisien. Il est un peu plus de 15 heures. Le service vient de se terminer à L’Ours, l’un des restaurants du chef Jacky Ribault, dans lequel trône un plantigrade. Ouvert début 2018, l’établissement a décroché sa première étoile moins d’un an plus tard. Les clients s’y régalent d’une cuisine de la Bretagne de l’enfance du chef, « pimpée » de nombreux apports japonais. Un pays où il a travaillé et beaucoup appris, en 2001. Un exemple ? Ce bouillon traditionnel japonais revisité et servi froid, composé d’algues kombu, de bonite séchée (katsuobushi), d’une gelée de tomates green zebra, d’œufs de saumon, de truite et de petits pois. Une explosion de saveurs et de textures ! « Faire seulement du poisson, j’y ai pensé. Mais on me réclame encore de la viande », glisse le chef.
N’empêche : beaucoup de choses ont évolué dans ses cuisines. « Je n’ai pas de carte, poursuit-il. C’est très pratique : tout ce que j’achète, je le passe dans la journée. Il n’y a pas de perte. Je récupère tout ce qui est biodégradable pour en faire du compost. J’achète très peu de produits étrangers, à chaque fois qu’on a le choix, on achète français. Ma fille est une Greta Thunberg, elle surveille ça de près. » Un monde à des années-lumière de ses débuts, en 1985, lorsque la tradition culinaire française était encore de tourner les légumes. « On en jetait 50 % ! Tout ça pour faire des carottes à neuf faces ! Mes parents étaient choqués », se souvient-il.
Mon rêve, c’était une étoile. Si on a la deuxième, ce sera du bonus, mais je ne suis pas un compétiteur
Une vaste salle au décor raffiné, des tables espacées, une cuisine brute et passionnée..., l’antre de L’Ours offre une expérience bien léchée. Dans la famille, avec un père maraîcher, les légumes, c’est sacré. Et cela se transmet. « À 8 ans, je voulais être boulanger, pâtissier et cuisinier, dans cet ordre. À 10 ans, mes parents m’ont offert un carré de terre pour y faire un potager. J’ai planté des radis, du maïs, des haricots… C’était déjà de la permaculture, avec les haricots qui poussent en s’accrochant au maïs. Le mercredi, je vendais sur les marchés avec mon père ; et à midi je prenais une caisse et je choisissais des fruits et des légumes pour cuisiner ce que je voulais. » Quelques années plus tard, il débute dans un monde de la cuisine encore plus dur qu’on ne l’imagine souvent : « Je travaillais de 8 heures à 2 heures du matin, et en plus le chef me tapait dessus. » À 39 ans, Jacky se souvient de ses rêves d’enfant : avoir son propre établissement. Ce sera Qui plume la Lune, dans le 11e arrondissement parisien qui, en 2011, n’est pas encore devenu « Boboland ». Malheureusement, après huit ans d’investissement total, un dégât des eaux et une mauvaise assurance, le chef doit vendre maison, meubles et voiture pour renflouer les caisses. « Je ne m’en suis jamais remis, je suis toujours locataire », commente-t-il sobrement. Depuis cette claque professionnelle et quelques accidents – huit à moto, dont un qui faillit lui coûter une jambe –, Jacky Ribault se sent comme un survivant. « Aujourd’hui, je veux profiter de la vie à fond », souffle-t-il. Frôler la mort ouvre l’appétit de vie. C’est bien connu.
La faim justifie les moyens
Qui plume la Lune à Paris, Les Mérovingiens, un restaurant, et Suzanne et Lucien, une boulangerie-boucherie, tous deux à Noisy-le-Grand, et L’Ours à Vincennes ne lui suffisent pas. « Je veux ouvrir d’autres restaurants » dit-il, comme un ogre devant un garde-manger. En 2023, il ouvrira une brasserie de 380 mètres carrés dans les docks de Saint-Ouen. À Champs-sur-Marne, dans l’ancienne maison du jardinier du château, il proposera une cuisine potagère, des poissons d’Île-de-France, des fleurs et des herbes sauvages, cueillies dans le parc de 85 hectares. C’est tout ? Évidemment non. « Je veux une guinguette. J’ai aussi un projet à Paris où je serai consultant pour servir 200 couverts tous les soirs dans un lieu de culture. J’aimerais avoir un restaurant d’abats. Je suis aussi en train de voir pour avoir mes vaches et mes veaux. » En l’écoutant, on a la tête qui tourne… Pas lui. Il organise une levée de fonds pour concrétiser ses projets et va recruter un chef des chefs qui passera de restaurant en restaurant. Pour faire le boulot à sa place ? Pas question ! « Je sers 8 000 couverts par mois sur quatre sites, et si j’ai une seule mauvaise critique sur internet, je n’en dors pas pendant trois jours. » Cette recherche d’excellence mènera-t-elle un jour à une deuxième étoile ? « Mon rêve, c’était une étoile. Si on a la deuxième, ce sera du bonus, mais je ne suis pas un compétiteur », assure-t-il. Plutôt un boulimique…
3 choses qui comptent pour le chef
- Ses souvenirs du Japon « J’y étais en 2001, à l’époque il n’y avait pas de rayon japonais dans tous les supermarchés. J’ai d’abord appris l’assaisonnement japonais. Aujourd’hui, je ne peux plus vivre sans sauce soja. J’ai également appris la dextérité dans la coupe des poissons, et puis cette fraîcheur incroyable des poissons. En France, il y a beaucoup de perte sur un poisson, là-bas, on utilise le gras, on ne met ni beurre ni huile d’olive. Autre aspect important, on fait tout à la baguette. J’ai vu un gars se faire licencier parce qu’il avait fumé. L’odeur du tabac reste sur les doigts, c’est interdit. »
- Son ingrédient préféré « Sans hésiter : la betterave, j’adore ça. C’est mon ingrédient fétiche. »
- Son rêve « Je voudrais avoir mes propres céréales pour faire ma farine, et puis des vignes aussi. Je suis un fou de vin. »
L’Ours, 94300 Vincennes