Nous avons rencontré Nicolas Guercio alors qu’il se préparait à la finale du concours du Meilleur Ouvrier de France, une épreuve d’une extrême exigence. Ce compte à rebours mobilisait toute son énergie, tant physique que mentale. Il a cependant stoppé son sprint pour se livrer sans fard : une heure d’introspection sur un parcours accidenté avec des (très) hauts, des (très) bas et des retours à la case départ. Son portrait pourrait illustrer le dictionnaire à l’entrée « Résilience ». Humble et discret, Nicolas n’est pas de ces m’as-tu-vu qui cultivent l’esbroufe. Il s’étonne de son parcours, doutant toujours d’être à la hauteur.

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Revenons aux premiers émois gourmands. « Un truc tout simple que mon grand-père préparait pour le goûter : du pain-beurre-pomme, une tartine tiède avec du beurre et un quartier de pomme sucrée et juteuse. Un autre souvenir me revient : celui des glands pâtissiers, dont raffolait ma grand-mère. J’en mourais d’envie, mais je n’y avais pas droit, à cause du rhum dedans. Je me rabattais sur les choux à la crème. Magique, la pâte à choux ! Une poche blindée de crème qui explose en bouche quand on croque dedans. » À 16 ans, le voilà apprenti cuistot. Le choix d’une option s’impose, ce sera « dessert à l’assiette ». Happé par le sucre, il ne repartira jamais plus en cuisine. Aurait-il pu exercer une autre profession ? « Un métier d’artiste, manuel forcément. Tout ce qui touche à la matière me fascine. J’aurais pu être menuisier, orfèvre, souffleur de verre, potier ou métallurgiste. Je travaille le sucre et le chocolat, cela revient à dompter une masse solide que l’on liquéfie afin de pouvoir la sculpter, la mouler, la démouler, la modeler. »

Pâtissier globe-trotter

En tant que fils de marin, voyager était une évidence. Londres fut la première destination. À l’étranger, on évolue rapidement, on vous donne votre chance et les moyens qui vont avec. J’ai appris à diriger une équipe et à parler anglais. Un bon tremplin pour la suite : Dubaï puis les Seychelles, une île resort où les people arrivaient en hélico, ôtaient leurs chaussures et vivaient quasi nus dans un jungle palace. Pour eux, une déconnexion complète. Pour moi, un sacré défi d’élaborer des desserts par 30 °C avec les ingrédients du bord, livrés par à-coups. Après neuf mois de cette robinsonnade, j’avais besoin de foule. Direction Tokyo. J’aimais me sentir Français à l’étranger. Le statut de french pâtissier suscitait curiosité et enthousiasme. J’avais une singularité que je ne ressentais pas en France. C’était avant Top Chef et la surmédiatisation du métier, passer de rien à superstar.
Nicolas Guercio, chef pâtissier au Lutetia

De formateur à chef de palace

En 2008, Nicolas s’envole pour Saint-Pétersbourg où il apprend le russe et rencontre celle qui deviendra sa femme. En 2014, la crise du rouble ayant divisé par deux son salaire, il rentre à Beauvais, sa ville natale. L’école Ferrandi recrute un formateur pâtissier international. Il fonce. Et le voilà qui décortique devant un tableau, en anglais, les propriétés du sucre. « Ferrandi est le noyau de la gastronomie. Des toques de renom débattent à la cantine de techniques culinaires, c’est un creuset vivifiant où bouillonnent les idées, les savoirs. Et qu’il est plaisant de transmettre ! Quand vous travaillez en boutique et que Mme Dupont qui a acheté un gâteau la veille, vous dit : “C’était bon”, z’êtes content. Mais quand 13 élèves sur 15 prouvent dans leurs TP qu’ils ont assimilé votre cours, croyez-moi, c’est autrement plus gratifiant. Début 2019, j’ai pourtant quitté ce job pour répondre à une offre d’emploi à Shanghai, du genre de celle qui ne se refuse pas, avec un salaire annuel à six chiffres. Vente de l’appartement, des meubles, de la voiture, adieux à la famille et aux copains de Beauvais, à la maîtresse des enfants… Deux jours avant le départ, l’employeur chinois fait marche arrière. Plus de contrat, pas de protection juridique, plus de boulot, plus de maison, plus rien ! Ça fait très mal, surtout à l’ego. » Ce revers de fortune fut une bénédiction, car la crise sanitaire est venue, puis la prise de poste au Lutetia en 2021. Le palace s’enorgueillit désormais d’avoir ajouté à son arc l’atout Guercio – un univers sucré riche de textures, de formes et d’associations audacieuses.

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Lutetia, 75007 Paris. Afternoon Tea : 65 €, le samedi et le dimanche uniquement, de 14 h 30 à 18 h.

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