Oxana Cretu : retour aux sources
Six ans après la création de Cromagnon, la subtile et florale cuisine d’Oxana Cretu est arrivée à maturité. La cheffe affirme désormais son identité en choisissant pour son restaurant un nom évoquant ses origines moldaves.
En ouvrant Cromagnon à Bordeaux, en 2017, Oxana Cretu s’est fait connaître avec un concept original : les convives cuisaient leurs aliments sur une pierre de sel de l’Himalaya. Pour la jeune femme d’origine moldave, il s’agissait déjà de favoriser la convivialité et de proposer des ingrédients triés sur le volet. Pendant la crise sanitaire et ses confinements successifs, sa curiosité culinaire – en témoigne son impressionnante bibliothèque de livres de cuisine – la pousse à prendre des cours pour perfectionner ses techniques. Jusqu’à bouleverser radicalement sa pratique et faire éclore une cuisine tout en finesse, à son image. Exit la pierre de sel, remplacée par un menu dégustation en six ou neuf plats déroulant de subtiles associations, parfois surprenantes, toujours équilibrées. La cheffe y exalte les produits d’ici avec des condiments venus d’ailleurs, embarquant ses convives dans un véritable voyage des sens.
Traçabilité totale
Parallèlement, elle veille à ne travailler que des ingrédients dont elle s’assure de maîtriser les circuits d’approvisionnement. Elle considère en effet comme essentiel de « connaître les origines du produit et le cycle de vie de la bête ». C’est pourquoi elle n’a conservé à son menu que des petites volailles, pigeons ou canards, en bannissant toute autre viande. Elle a sélectionné la truite de la Ferme du Ciron, une pisciculture artisanale du Lot-et-Garonne, parce qu’ils recourent à l’ikejime, une méthode d’abattage séculaire japonaise permettant de réduire le stress du poisson et garantissant une chair plus moelleuse. Elle la fait maturer à froid trois semaines, pour en concentrer le goût, à la manière de la bonite séchée utilisée par les Japonais, et l’associe avec des nectarines désucrées par une sauce au Lillet, apéritif du cru à base de vin. Les crevettes, en provenance des fermes de l’estuaire de la Gironde, sont servies déshydratées sur une puissante bisque au safran adoucie par un gel à la rose. Chaque plat conjugue textures et saveurs inédites. Avec une prédilection pour les agrumes et les notes florales. L’huître également élevée dans les claires de l’estuaire de la Gironde est relevée par un vinaigre mariné aux fleurs de sureau, une glace à l’aloe vera et une mayonnaise à la tomate verte. La seiche du bassin d’Arcachon est proposée en deux textures, coupée en fines lamelles et en tempura, assaisonnée de poudre d’algues, accompagnée d’une crème de petits pois, d’une légère mayonnaise au wasabi et d’une glace salicorne-yuzu. Les palourdes et coques en provenance de Bretagne se marient à ravir avec l’amertume de l’artichaut agrémenté d’un réconfortant sabayon aux agrumes, le tout parfumé par un bouillon aux algues marinées. Autant de préparations pour lesquelles elle privilégie des solutions naturelles sans artifices : une performance, dans une minuscule cuisine ouverte sur la salle, qu’elle partage avec son second, Antoine Velasco.
Le fond et la forme
Chaque élément, y compris les fleurs qui apportent des touches de couleur, trouve sa place dans un ensemble graphique réfléchi aussi bien en termes de fond que de forme. Et pour cause, elle exerçait le métier de designer produit avant de se reconvertir à la cuisine. Pour mettre en valeur son menu, elle a choisi une nouvelle vaisselle en porcelaine à l’esprit végétal, qui reproduit la texture d’une coquille d’huître ou les lamelles d’un champignon.
Le végétal est en effet omniprésent dans ce lieu intimiste de vingt-quatre couverts, conçu comme un chaleureux cocon. Dans cet écrin qu’elle fait évoluer selon ses envies, on est accueilli par une plante en pleine santé qui colonise progressivement la pierre. Des sculptures florales ornent les murs, et des bouquets fleurissent les tables en bois. Au plafond pendent des globes de plumes blanches.
À 39 ans, alors que son art arrive à maturité, Oxana Cretu entend revenir à ses origines. Non seulement elle y fait référence dans ses plats – le gâteau au miel des fêtes de son enfance lui a inspiré un dessert –, mais elle a aussi opté pour un mot de son pays natal pour renommer son restaurant. Cromagnon est devenu, depuis quelques semaines, Inima, qui signifie, en moldave, « de tout cœur » et s’utilise, explique-t-elle, « pour exprimer le dévouement, la passion, ou pour parler de sa moitié ». Elle ne pouvait pas mieux choisir pour définir sa relation à la cuisine, à sa table et à ses clients.
Inima, 33000 Bordeaux. Ouvert le soir du mer. au sam., et le midi du jeudi au ven. Menus du midi : 42 et 52 €. Menus du soir : 65 € et 90 €.