Sébastien Bouillet : un gone pur sucre
Figure du paysage lyonnais, ce pâtissier chocolatier est apprécié pour ses créations aussi bien épurées que déjantées, mais également pour sa bonhomie et son énergie communicative.
Prononcez « Bouillet » devant un Lyonnais pour le voir aussitôt saliver. Le nom et le visage sont bien connus, et la silhouette très familière aux Croix-Roussiens. Ce gaillard énergique de 47 ans, biceps tatoués, regard clair et cheveux ébouriffés sillonne les rues pentues à pied ou à moto pour rallier l’une ou l’autre de ses treize boutiques. On le salue, on l’interpelle, et lui prend toujours le temps de tchatcher un brin. Sébastien est aussi accessible que lorsqu’il manageait dix salariés (il en a treize fois plus aujourd’hui). La Croix-Rousse concentre quatre adresses : la pâtisserie « historique » de ses parents, Henri et Ginette, le corner viennoiseries, la chocolaterie et le dernier-né, le Café Bouillet, qui réunit depuis juillet 2023 les trois premiers univers dans un même lieu. « J’ai grandi dans le sucré : mes parents ont ouvert leur pâtisserie en 1977, un an après ma naissance. À 15 ans, j’ai fait Sport Études avec l’envie d’être pompier, mais un stage chez un copain de mon père a changé la donne. Un déclic s’est produit, je suis entré en apprentissage. Ceci sans aucune pression parentale, jamais je ne me suis senti obligé de reprendre l’affaire familiale. À la fin de mon apprentissage, en été, j’ai assuré le remplacement de mes parents partis trois semaines en vacances. J’en ai profité pour changer 70 % de la gamme en mettant à profit les expériences engrangées. Le chiffre d’affaires a grimpé en flèche, ce qui a convaincu mon père de me laisser les coudées franches. »
Nous, pâtissiers, n'avons pas peur de perdre une étoile, on se sent plus libres que les cuisiniers.
Inspiration Soleil-Levant
Avant de s’ancrer sur la colline des canuts, Sébastien a beaucoup voyagé, notamment au Japon : « J’ai été surpris par l’abondance de matières premières ; la crème fraîche, par exemple, existe en 35, 40 et 45 % de matière grasse ! J’ai rapporté de l’Archipel des techniques qui confèrent de la légèreté (appliquées dans mon biscuit japonais à base de pâte à choux, le chiffon cake et la crème d’ange), la précision dans la présentation, mais aussi et surtout une remise en question permanente. Les marques japonaises se renouvellent sans cesse, on n’a pas le temps de se lasser. Le côté éphémère des produits incite à les tester avant qu’ils ne disparaissent. » Cette curiosité vive, toujours en éveil, caractérise Sébastien, friand de renouveau et boulimique de projets. Autre import nippon : il s’amuse avec les packagings, détourne des objets pour créer de petits cadeaux kawaï (mignons) : un bâton de dynamite garni de chocolat pétillant, des lunettes de soleil, des lipsticks et des disques vinyle 100 % chocolat ! Tout l’inspire: la nature, la déco, un plat… « J’ai goûté chez un copain une recette associant le kiwi, l’huile d’olive et des herbes aromatiques. L’Opaline est la transposition pâtissière de ce mariage de saveurs. Nous, pâtissiers, n’avons pas la pression de la critique gastronomique à laquelle sont soumis les cuisiniers. On n’a pas peur de perdre une étoile, on se sent plus libres d’innover. »
Le nécessaire virage du salé
« La conjoncture ébranle la sphère de la pâtisserie. Le prix croît avec le coût des matières premières et de l’énergie, le pouvoir d’achat baisse, la pâtisserie devient élitiste, presque un luxe pour certains. Il est nécessaire de se diversifier, d’élargir l’offre avec une gamme accessible, notamment du salé. Ma boutique de Méribel a permis de valider cette intuition: on peut y acheter une madeleine à 2 euros, du chocolat ou un en cas. Le snacking a pris une place importante dans le quotidien des gens, ils vont moins souvent au restaurant mais mangent davantage sur le pouce, avec une exigence de qualité. » Au Café Bouillet, Sébastien travaille le salé avec l’approche d’un pâtissier: souci du détail et twist sucré salé. « C’est très frustrant de voir un client faire un achat en boutique et ne rien savoir de ses réactions quand il déguste la pâtisserie chez lui. Ici, on a le ressenti en direct. J’ai envie que mes boutiques vivent, que les clients s’assoient, dégustent, voient la fabrication dans le labo ouvert sur la salle. » Cette rencontre se résume en un mot: envie. Une vie à 100 à l’heure pleine d’envies. Envie d’entreprendre, d’innover sans cesse, de prendre du plaisir, de satisfaire ses clients et de grandir.
À brûle-pourpoint
- La patte Bouillet ? « Des pâtisseries design, pas mal de pochage, des produits exclusivement saisonniers et une réflexion poussée sur la forme. »
- Vos ingrédients fétiches ? « Les agrumes (pour la note de fraîcheur), la glace vanille (j’en suis fada) et le chocolat. »
- Un moment préféré ? « La création. Il y a deux façons de procéder. Soit j’ai l’idée d’une forme sans savoir encore ce que je vais mettre dedans. Soit j’ai l’idée d’une association de saveurs sans savoir quelle forme lui donner. Je procède au mélange et je goûte: là, c’est un moment très sympa. »
Café Bouillet, 161 boulevard de la Croix-Rousse, 69004 Lyon
(Reportage publié dans le magazine Saveurs n° 307, 2024)