Sébastien Gaudard : un passé magnifiquement présent
Le pâtissier d’origine lorraine remet au goût du jour des desserts d’antan afin que ceux-ci ne tombent pas aux oubliettes de la mémoire collective. Il porte en lui un nouveau courant : la « Renaissance pâtissière ».
Pont-à-Mousson, 1978, samedi, 4 h du matin. Des pneus crissent sur le gravier. Daniel Gaudard, pâtissier-chocolatier, quitte la maison et part travailler. Sébastien, 8 ans, ouvre un œil puis deux. Il s’habille en vitesse, enfourche son vélo et file rejoindre son père, place Duroc. Pendant une bonne partie de la matinée, mini-toque vissée sur la tête, il sera dans les pattes des collaborateurs de monsieur Gaudard, posant mille questions. Il aime jouer à l’apprenti sorcier, piocher des poudres sur l’étagère, les sentir, les mélanger à de la crème d’amande, malaxer la pâte, enfourner. Certes, à la sortie du four, ça ne se démoule pas toujours, mais qu’importe ! De merveilleux souvenirs se sont forgés ici, dans l’effervescence de l’atelier paternel. C’est à Pont-à-Mousson que l’on a vu naître (dit-on) le chou à la crème… et la vocation de Sébastien Gaudard.
Des premiers pas prometteurs lui ouvrent à 22 ans les portes de l’hôtel Matignon, où il effectue son service militaire, régalant deux ministres consécutifs. « J’avais à ma disposition des matières premières de qualité et le temps de les travailler. » En 1993, le Mosellan se présente chez Fauchon comme commis. « Au bout de deux mois, Pierre Hermé m’a proposé d’être son premier assistant. On se comprenait facilement, lui fils de boulanger, moi fils de pâtissier. Nous avions à disposition la formidable “épicerie du monde” de Fauchon, garnie de produits rares ou exotiques. Nulle part ailleurs on ne pouvait trouver, à l’époque, des cerises en décembre (à des prix lunaires). Hermé piochait dans ce sublime étal des ingrédients qu’il magnifiait. C’est là que j’ai découvert le vrai vinaigre balsamique, les variétés de poivres, de thés… » Son « Auguste » synthétise cette période d’exploration tous azimuts : ce gâteau triangulaire associe cinq chocolats grand cru, du poivre de Java, du thé Darjeeling, du café du Zimbabwe, du miel de Provence et la griotte d’Alsace.
« Quand j’étais moderne… »
En 2003, il inaugure au Bon Marché Rive Gauche un snacking chic sucré-salé : le Delicabar. Une approche contemporaine avec des expérimentations osées, pile dans l’air de ce début de siècle. Mais en 2009, Sébastien tourne la page du Delicabar et du modernisme. Une envie le tenaille : sauter à pieds joints dans le passé en compagnie de Françoise Bernard, icône de la cuisine familiale. À quatre mains, ils écrivent un recueil de recettes traditionnelles, Le Meilleur des desserts (Hachette pratique). « Elle, du haut de ses quatre-vingts printemps, et moi avions les mêmes références. Elle m’a fait prendre conscience que ces “vieux” desserts n’étaient pas si anciens que ça, mais qu’ils étaient en sursis, proches de l’extinction, menacés par les modes et les tendances. La majorité des pâtissiers inventent des trucs cubiques, bleus, violets, trapézoïdaux, en trompe-l’œil ou qui clignotent… Dans une volonté d’originalité et d’appropriation, ils détournent les recettes classiques. Revisiter, quel horrible terme ! Pourquoi infliger cela à une charlotte aux poires qui, d’elle-même, bien exécutée, peut être sublime ? Tous les C.V. que je reçois se targuent d’une créativité féconde. Pour des apprentis, cet étendard me semble déplacé. En cuisine, il faut d’abord maîtriser les fondamentaux avant d’être innovant, comprendre les traditions et les tours de main pour ensuite s’en affranchir. » Avis aux candidats potentiels, vous savez ce qu’il ne faut pas écrire…
Le goût des souvenirs
« Tant de desserts ont presque disparu ! Par manque de temps et de transmission, les savoir-faire se perdent. Or la France est un pays de traditions. Vous demande-t-on où trouver la pâtisserie la plus innovante du moment ? Rarement. En revanche, les gens veulent savoir où goûter le meilleur mille-feuille, le meilleur croquembouche, le meilleur éclair… Les pâtisseries traditionnelles véhiculent de l’émotion, elles renvoient à l’intime. » Une évocation gourmande à nous confier ? « Les beignets aux pommes de mamie Yvonne ! Pourquoi se réfère-t-on si souvent aux grands-mères quand on fouille dans nos souvenirs ? Sans doute parce qu’elles sont plus disponibles que les mères pour cuisiner. La mienne cuisinait avec son ressenti, son fluide, l’habitude de faire. J’ai encore en bouche sa compote de rhubarbe meringuée, avec les œufs du poulailler. Je m’attache à faire renaître les desserts d’une période idéalisée de l’enfance, avec les codes d’aujourd’hui (allégés en sucre). Ceux qui me disent : Ce dessert a exactement le même goût que celui de ma grand-mère, je les taquine en répondant : Elle était douée en pâtisserie, votre grand-mère ! ».
- Pâtisserie des Martyrs, 75009 Paris.
- Pâtisserie-salon de thé des Tuileries, 75001 Paris.
- Grand Café, 75009 Paris.
(Article publié dans Saveurs n° 303, avril 2024)