Lorsque Thomas Chisholm a ouvert son restaurant en 2021, quelques mois seulement après avoir participé à Top Chef, il n’avait qu’une crainte : « Que les gens viennent plus pour être pris en photo avec moi que pour ma cuisine. » Chocho a en effet été pris d’assaut dès l’ouverture. Indéniablement, l’émission de télévision lui a fait « gagner quelques années de carrière », en l’aidant notamment à trouver des investisseurs aguerris, comme Émilie et Boris Bazan, un couple de restaurateurs connus sous le nom des Becs Parisiens. Si le restaurant ne désemplit pas, c’est pour de bonnes raisons.

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On y vient en effet pour sa cuisine d’auteur audacieuse aux goûts tranchés, « une cuisine qui reflète qui je suis, ma vie, mon parcours », signale le jeune chef franco-américain, qui a passé ses quatorze premières années à New York avant qu’une partie de sa famille s’installe à Perpignan. Ce parcours multiculturel a influencé la carte, avec ses assiettes à partager pensées sur le modèle catalan des tapas, mais aussi le décor, avec ses luminaires terracotta qui évoquent les toits du sud de la France. Thomas Chisholm pioche aussi dans ses origines anglo-saxonnes pour le choix de certains ingrédients, comme le porridge d’avoine cuit dans du lait, qui accompagne son dessert autour de la fraise. Il ne s’impose pour autant aucune contrainte.

Remise en question

Quand il arrive dans la capitale en 2014, bac pro hôtellerie-restauration en poche, Thomas Chisholm a le sentiment de devoir tout réapprendre. Pourtant, il a déjà passé trois ans dans un Relais & Châteaux du Gard. Aux côtés du chef étoilé Sylvain Sendra, il accepte de repartir de zéro, pour se familiariser avec des méthodes de cuisson plus traditionnelles, nécessitant autant de connaissances que de savoir-faire. Rôtir, braiser, marquer: ces techniques lui permettent de révéler toutes les saveurs de ses matières premières. Le carpaccio de betterave est fumé au genièvre, et la truite de Banka est saisie à la plancha avant d’être cuite au barbecue. Estimant que la gastronomie doit avant tout apporter du plaisir et rester gourmande, Thomas Chisholm assume pleinement les cuissons en friture, qu’il considérait auparavant négativement. Ainsi, les artichauts à la juive sont plongés dans un bain d’huile chaude et accompagnés d’une béarnaise aux herbes. Le chef revendique des goûts francs, quitte à les pousser à l’extrême, comme avec le ris d’agneau, qu’il a sublimé avec une touche provençale, en l’accompagnant d’un jus parfumé au romarin, d’une crème d’olives mixées avec leur saumure pour une note saline, et de mains de Bouddha pour l’acidité. Le résultat est un plat puissant et équilibré, qui réconcilie même ceux qui n’aiment pas les abats. Sa cuisine, qui peut sembler simple et lisible, n’en est pas moins technique.

Plat en sauce de Thomas Chisholm
Le menu, éclectique et inventif, s’inspire de différentes cultures : catalane, américaine, japonaise, française. Photo : Antoine Motard

Saucer n’est plus pécher

Pour son « plat à saucer », sa signature, l’idée était de bouleverser les conventions de la bonne tenue à table, tout en proposant une expérience unique. Selon Thomas Chisholm, le meilleur moment d’un plat survient à la fin, quand tout se mélange dans l’assiette et qu’on n’a qu’une envie : y tremper un morceau de pain croustillant. C’est ce qu’il invite à faire avec ses assiettes au dressage abstrait, dont les saveurs et les textures évoluent au fil des saisons. En mars 2024, sa dixième création est une palette de teintes vert foncé, vert clair et marron imaginée en hommage à son dernier chef, Atsushi Tanaka (restaurant A.T.).

Plat à saucer
Le plat signature de Thomas Chisholm, dit "plat à saucer", version 2024

Avec son adjoint, le trentenaire expérimente des techniques de conservation ancestrales qui présentent un double intérêt : jouer avec des produits hors saison, comme les fraises en hiver ou les kumquats l’été, tout en créant des condiments savoureux. Inspirés par la nouvelle cuisine nordique, ils ont poussé encore plus loin la démarche en élaborant leurs propres boissons naturelles, par fermentation, infusion ou extraction : kombucha macéré avec du vieux bois pour évoquer un vin orange, ginger beer, citronnade à la fleur de sureau, faux pastis à base de badiane, anis et réglisse sont conçus sur mesure pour mettre en valeur les plats du menu Medley dans de subtils accords.

Le chef Thomas Chisholm
Thomas Chisholm parfait sa créativité culinaire depuis une quinzaine d’années, alliant technicité et sens artistique, des qualités qui ont été saluées lors de son passage à Top Chef. Photo : Antoine Motard

Thomas Chisholm fait indubitablement partie de cette génération de cuisiniers qui n’hésitent pas à remettre en question leur métier et leurs pratiques, qu’il s’agisse de l’assiette, du service qu’il veut détendu mais professionnel, ou de l’organisation, avec une équipe jeune qui a son mot à dire. Autant de raisons qui incitent les clients à revenir, et pas seulement pour voir l’ancien candidat de Top Chef.

Thomas Chisholm en trois questions

  • Un moment privilégié ? Tard le soir en rentrant du travail, je me pose pour analyser ma journée et je prends un peu de temps pour imaginer de nouveaux plats. C’est souvent là que les idées me viennent et  que je suis le plus créatif.
  • Votre ingrédient fétiche ? Le rancio sec, un vin blanc oxydatif aux arômes de noix, typique de Catalogne du Nord. Il faisait partie de la cuisine de ma grand-mère maternelle ; désormais, il fait partie de la mienne. Je termine généralement mes sauces en ajoutant du rancio sec pour leur donner de la longueur en bouche.
  • Une astuce ? J’aime beaucoup les œufs. Pour réussir la cuisson d’un œuf poché, je le casse dans un ramequin, puis j’ajoute une cuillerée à soupe de vinaigre blanc. Je fais bouillir de l’eau, je la fouette pour créer un tourbillon et j’y dépose l’œuf. Il suffit ensuite de le laisser cuire 3 minutes à température frémissante, entre 85 et 90°C.
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Chocho, Paris 10e. Ouvert 7 j./7, midi et soir. Menu Medley en 5 temps : 72 euros ; menu végétal : 54 euros ; accords vins et boissons : 39 euros, 24 euros sans alcool.

Le restaurant Chocho, de Thomas Chisholm
Chocho mêle atmosphère conviviale et intimité en invitant les clients à s’asseoir autour d’une grande table d’hôte commune, sur l’une des banquettes rembourrées ou au comptoir. La cuisine ouverte permet de voir le chef et son équipe à l’œuvre. Photo : Antoine Motard
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