Seules les épines de leurs bogues émergeant d’un épais tapis de feuilles trahissent la présence des châtaignes au pied d’arbres culminant jusqu’à 30 mètres de haut. Dès que la bruine commence à tomber, aux prémices de l’automne, il est temps de ramasser ce fruit de la forêt. Lorsque celui-ci est mûr, la bogue se fissure en quatre et se détache naturellement du châtaignier. Dans les forêts communales, les cueilleurs les ramassent munis de gants épais, tandis que les castanéiculteurs utilisent un filet. Parmi elles, se cache le marron, qui ne contient qu’un fruit par bogue (contre trois pour les premières) mais appartient bien à la même famille que les châtaignes. Celui-ci a pourtant fini, dans le langage courant, par s’imposer et nourrir une grande confusion. Ainsi l’hiver, les vendeurs avec leur brasero de fortune ont beau crier « chauds, chauds, les marrons ! », ce sont des châtaignes grillées qui embaument la rue ! Les marrons glacés, inventés au XVIIe siècle et offerts pour les agapes de fin d’année, n’usurpent en revanche pas leur titre. Plus gros et avec une chair non cloisonnée par un tégument (fine peau), ils sont généralement préférés en confiserie aux châtaignes classiques. Quant au marron d’Inde, fruit du marronnier, il n’est pas comestible.

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Sur les étals, la châtaigne est vendue sans son épineuse carapace, mais encore recouverte de son écorce brillante et fine, en forme de cœur. De couleur brune à rouge, elle est terminée par une torche, sa petite queue duveteuse caractéristique. Pour bien la choisir, il faut vérifier qu’elle soit lourde (entre 10 et 25 grammes selon la variété) et exempte de trou, signe qu’un ver en aurait fait sa demeure. Mais avant de pouvoir apprécier sa saveur naturellement sucrée, la châtaigne demande quelques attentions. Ramassée, elle est trempée dans de l’eau pour un premier tri. Celles remontant à la surface sont creuses ou pourries, donc éliminées. Ce bain est également la première étape pour permettre à la châtaigne de se conserver plus longtemps, car, malgré son air rustique et robuste, elle ne tient, lorsqu’elle est fraîche, que sept jours au réfrigérateur, contre plusieurs semaines après avoir été séchée dans des clèdes, des séchoirs traditionnels en pierre construits sur des terrains escarpés. Les fruits, déposés sur un plancher ajouré à l’étage, se déshydratent par la chaleur du foyer de bois qui se consume pendant près de trois semaines.

Autrefois vitale, aujourd’hui festive

Préparée, la châtaigne prend des airs de fête : elle se marie avec la dinde ou la pintade, régale grands et petits sous forme de mousse et autre purée légèrement sucrées. Mais avant d’être très souvent servi pour les fêtes de fin d’année, ce fruit est avant tout un produit de tradition. Dans de nombreuses régions du sud de la France, la châtaigne est ramassée depuis des siècles. En Ardèche, premier producteur français, son goût et sa culture sont désormais protégés par une AOP obtenue en 2014. En Corse, dont le cap est recouvert de forêts de châtaigniers, elle est une véritable institution. Surnommé « arbre à pain » ou « arbre à saucisses », le châtaignier a évité la famine à bien des foyers. Écrasée et séchée, la châtaigne donne une farine brune, protégée depuis 2006 en Corse. Non panifiable, elle est souvent mélangée à la farine de froment pour réaliser des produits boulangers à la mie dense et énergétique. Elle a ainsi pu remplacer le blé, non cultivable sur des terrains escarpés et ingrats. Sur l’île de Beauté, les cochons sauvages ne sont pas en reste, car ils se délectent des châtaignes au sol, ces dernières donnant à leur viande une saveur de sous-bois. Et les abeilles transforment son nectar et son miellat en miel de châtaignier, l’un des plus réputés. Ceux qui ont su exploiter les ressources de cet arbre ont suscité bien des jalousies. Donnant lieu à l’expression « tirer les marrons du feu », c’est-à-dire profiter d’une situation. De quoi se prendre une châtaigne… ou un beau marron. Toujours la confusion !

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(Article publié dans le magazine Saveurs n° 278, 2021)

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